Comment Les Protéines s'Epissent-Elles ?

Eric ADAM
Biozentrum der Universität Basel, Kingelbergstrasse 70, CH-4056 Basel, Switzerland
L'épissage protéique se définit comme un évènement post-traductionnel qui conduit à la maturation d'une protéine précurseur, inactive en plusieurs protéines fonctionnelles. Durant cette maturation un ou plusieurs polypeptides (intéines) sont excisés du précurseur et les régions flanquantes (extéines) sont reléguées par une liaison peptidique. Le mécanisme ne nécessite aucun co-facteur et a lieu en conditions de pH (6.5) et de température (>42 degrés) définies. En 1990 Tom Stevens, biologiste moléculaire à l'Université d'Oregon et ses collègues décrivent le premier cas d'épissage protéique chez S. cerevisiae dans le gène VMA1. Depuis cette date, une quinzaine d'autres exemples ont été identifiés dans les 3 règnes du monde vivant. Parmi ces 15 gènes d'intéines au moins 4 sont des endonucléases. Elles possèdent la propriété de reconnaître et de cliver la séquence d'insertion de sa propre séquence codante dans un allèle de protéine précurseur encore dépourvu de l'intéine. On apparente ce mécanisme à une invasion du génome de type parasitaire. En 1992, Francine Perler des New England Biolabs (NEB) met en évidence la présence d'un tel mécanisme dans le gène d'une ADN polymérase (Vent = Pol) chez Thermococcus litoralis . Par la suite, le Dr. Perler et ses collaborateurs apportent les preuves quant à la propriété autocatalytique du phénomène et quant à la présence d'une espèce moléculaire intermédiaire de la réaction. Deux ans plus tard, une nomenclature terminologique est définie et le même laboratoire propose un modèle biochimique cohérent basé sur l'analyse de 85 mutations ponctuelles aux jonctions d'épissage d'une intéine archaebactériale. Toutes les jonctions d'épissage connues à ce jour possèdent en N-terminal un acide aminé nucléophile conservé (C ou S) et en C-terminal le di-peptide HN. Le mécanisme d'épissage comprend 3 étapes. Tout d'abord, une permutation azote- oxygène conduit à la création d'une liaison ester entre l'acide aminé C-terminal de l'extéine amont et le premier acide aminé de l'intéine (C ou S). Le groupement carbonyle jouxtant cette liaison ester est alors attaqué par le groupement hydroxyle du premier acide aminé de l'extéine aval qui est toujours soit C, S ou T libérant l'extrémité N-terminale de l'intéine. Une protéine en forme de T (2N terminaux et un seul C terminal) intermédiaire de la réaction est alors formée. Par la suite l'asparagine C terminale de l'intéine se cyclise, libérant l'intéine de la protéine intermédiaire en T. Enfin les 2 extéines encore reliées entre elles par la liaison ester originelle opèrent une permutation oxygène-azote qui conduit à restaurer une liaison peptidique conventionnelle. En 1994 débute dans le laboratoire du Dr. Perler un projet de recherche sur l'épissage protéique en trans. Ce projet a pour but d'obtenir un épisssage protéique autocatalytique entre les deux moitiés d'une protéine précurseur dont le site de coupure est situé dans l'intéine. Les deux moitiés sont clonées et purifiées séparément, dénaturées dans l'urée et renaturées en présence l'une de l'autre. Seules deux moitiés se complémentant parfaitement au niveau génomique ou se chevauchant restaurent non seulement l'activité d'épissage et de religation des deux molécules indépendantes, mais aussi l'activité endonucléasique intrinsèque de l'intéine. Cette propriété est actuellement exploitée pour la purification de protéines hautement toxiques chez E. Coli. De nombreuses enzymes archaebactériales sont actuellement testées en milieu industriel pour leur capacité à réaliser une catalyse stéréo-spécifique en présence de solvents au lieu d'un tampon acqueux. On peut considérer l'épissage protéique chez les archaebactéries comme étant une réaction enzymatique réalisée par une protéine thermophile, l'intéine. Ainsi, en étudiant différentes conditions expérimentales extrêmes, la réaction d'épissage a été tentée en trans avec succès en présence d'urée 6 molaires. Les potentialités de l'épissage protéique sont de plus en plus étendues. Le contrôle de ce type d'épissage in vivo est d'un grand intérêt pour la mise au point de nouveau outils moléculaires pour la génétique. Un gène donné pourrait être séquentiellement activé ou désactivé sans pour autant subir de réarrangements au niveau génomique une fois l'intéine clonée dans ce gène, cette disruption fonctionnelle conditionnelle se déroulant au niveau post- traductionnel. Théoriquement, le contrôle ne peut s'exercer qu'au niveau des 2 paramètres qui régissent l'épissage protéique : le pH qui contrôle l'échange de protons de la réaction et la température qui contrôle la cinétique. Il a déjà été montré que ces paramètres sont modifiés chez des intéines ponctuellement mutées dans les séquences conservées d'épissage. Ainsi une stratégie globale de mutation aléatoire du gène codant pour une intéine permettrait d'isoler des mutants encore capables d'épissage mais dans des conditions de pH ou de température différentes de celles du gène sauvage.