Hyperthermophiles Et Origines De La Vie, Le Point Sur La Controverse.
Patrick FORTERRE
Institut de Génétique et Microbiologie, BMGE, Bat 409, Université Paris-Sud
91405, ORSAY Cedex.
Plusieurs arguments ont été avancés en faveur d'un scénario hyperthermophile pour les origines de la vie et d'un lien direct entre cette origine chaude et les hyperthermophiles actuels :
i) la température de la terre primitive aurait été très élevée, ii) le bombardement cataclysmique
des météorites, qui a eu lieu au tout début de l'histoire de notre planète, aurait selectionné une
vie apparue dans les grands fonds océaniques (sources hydrothermales) ou dans la croûte
terrestre (proche du magma), iii) un métabolisme primitif auxotrophe sur des surfaces solides
aurait nécessité une énergie d'activation apportée par l'agitation thermique (théorie de
Wachtershäuser), iv) les hyperthermophiles sont groupés à la base de l'arbre des ARN
ribosomaux, suggérant la conservation de caractères ancestraux.
Chacune de ces assertions peut être discutée. En fait, on ne connaît pas actuellement la
température de la terre primitive, ni dans quel milieu la vie a fait son apparition, ni le type de
chimie prébiotique qui lui a donné naissance, etc. De nombreuses hypothèses contradictoires
existent à ce sujet, y compris des scénarii froids. L'idée d'un lien direct entre une origine
chaude et les hyperthermophiles implique l'apparition et le développement du monde à ARN à
haute température, ce qui semble difficilement compatible avec l'instabilité de l'ARN dans ces
conditions (1). Le caractère primitif des hyperthermophiles est également discutable ; ces
microorganismes présentent des caractéristiques qui semblent bien être des adaptations
secondaires très élaborées leur permettant de vivre à des températures proches du point
d'ébullition de l'eau, telle que la reverse gyrase (2).
Enfin, la position phylogénétique des hyperthermophiles dans l'arbre du vivant est elle
aussi sujette à discussion. Si la racine de cet arbre est bien dans la branche des bactéries, comme
suggéré par différents auteurs, et si l'ancêtre commun des bactéries et des archaea était bien un
hyperthermophile, l'hypothèse la plus parcimonieuse est effectivement celle d'un ancêtre
hyperthermophile à tous les êtres vivants. Cependant, les données qui ont permis de positionner
la racine sont très criticables (3). D'autres scénarios peuvent donc être envisagés. Par exemple,
le phénotype procaryote aurait pu apparaître par réduction au cours de l'adaptation à la
thermophilie, expliquant pourquoi l'ancêtre commun procaryote était un thermophile et
pourquoi il ne semble pas exister d'eucaryote thermophile (1).
.../...
Cependant, la découverte récente d'archaea mésophiles dans la branche des crénotes et la
position des bactéries hyperthermophiles dans l'arbre des ARN polymérases remet maintenant
en question l'idée même d'un ancêtre commun procaryote thermophile. L'adaptation aux hautes
températures aurait donc aussi pu se produire plusieurs fois et indépendamment chez les
bactéries et les archaea! L'étude comparative de la biologie moléculaire des bactéries et des
archaea hyperthermophiles pourra peut-être permettre de trancher entre toutes ces différentes
hypothèses (4).
Références
- Forterre, P. (1995)
Thermoreduction, a hypothesis for the origin of procaryotes".
Comptes Rendus de l'Académie des Sciences , 318, 415-422
- Forterre, P., Confalonieri, F., Charbonnier, F. and Duguet, M. (1995)
Speculations on the origin of life and thermophily : review of available information on
reverse gyrase suggest that hyperthermophilic procaryotes are not so primitive.
Origin of life and evolution of the Biosphere, 25, 235-249.
- Forterre, P., Benachenou, N., Confalonieri, F., Duguet, M., Elie, C., and Labedan, B.
(1993)
The nature of the last universal ancestor and the root of the tree of life, still open
questions.
Biosystem, 28, 15-32.
- Forterre, P. (1996)
A hot topic : the origin of hyperthermophiles
Cell, 85, 789-792.