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Cassures de l'ADN et surprise de l'évolution
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L'ADN, support de l'information génétique
des cellules vivantes, peut subir des lésions de
plusieurs types. Parmi les principales, se trouvent les
cassures de l'un ou des deux brins de la molécule
d'ADN. Des résultats récents de
l'équipe d'Alain Nicolas au laboratoire
Compartimentation et dynamique cellulaires (CNRS-Institut
Curie), à Paris, permettent de mieux comprendre
l'origine des cassures double brin de l'ADN intervenant lors
de la méiose. Dans une première étude,
ces chercheurs ont analysé de façon
systématique l'ensemble du chromosome III de la
levure Saccharomyces cerevisiae, mettant ainsi en
évidence l'existence de très nombreuses
régions de cassures et une distribution très
hétérogène de ces régions le
long du chromosome. Ces résultats mettent en
lumière, au-delà des déterminants de la
séquence primaire de l'ADN, une organisation du
chromosome en domaines, plus ou moins susceptibles de subir
des lésions spontanées. Une seconde
étude, en collaboration avec l'équipe de
Patrick Forterre (Institut de génétique et
microbiologie, CNRS-Université Paris-Sud, Orsay), a
conduit à la découverte de l'enzyme
responsable de la formation des cassures double brin de
l'ADN. C'est une protéine codée par le
gène Spo11 et identifiée grâce à
sa similarité de séquence avec une nouvelle
famille de topoisomérases découverte chez une
archaebactérie. Cette ressemblance si forte entre une
enzyme d'archaebactérie, qui ne possède pas
d'équivalent chez des bactéries plus communes
de type E. Coli, et la protéine Spo 11
impliquée dans un processus propre aux eucaryotes -la
méiose-, plaide en faveur du rapprochement
évolutif des archaebactéries et des
eucaryotes.
A tout instant, l'ADN porteur de l'information
génétique dans toutes les cellules d'un
organisme subit des lésions dont la réparation
est nécessaire pour le maintien de
l'intégrité des chromosomes, la multiplication
des cellules et leur survie. Les causes de ces dommages sont
variées. Ils peuvent être d'origine
spontanée (toutes les réactions biologiques
ont un taux minimal d'erreur) ou être
génétiquement programmés comme
mécanisme permettant d'augmenter la diversité
des protéines assurant la réponse immunitaire.
Les dommages de l'ADN peuvent aussi être dûs
à l'action directe ou indirecte de facteurs de
l'environnement, par exemple lors de l'exposition à
des agents physiques (radiations) ou chimiques,
potentiellement mutagènes. Des dommages peuvent
également être induits, par exemple en
radiothérapie, pour tuer les cellules
cancéreuses. Les lésions subies par la
molécule d'ADN sont de plusieurs types
moléculaires, mais en majorité il s'agit
d'altérations des bases (molécules
constitutives des acides nucléiques) et de cassures
simple ou double brin du squelette de la double
hélice de l'ADN.
Des travaux très fructueux réalisés
au cours des dernières décennies ont mis en
évidence l'existence dans tous les organismes vivants
de mécanismes de réparation de l'ADN,
mécanismes dont la multiplicité souligne
l'importance pour la cellule de gérer avec soin
l'intégrité de son matériel
génétique. Ainsi, lorsqu'ils sont
fidèles, les mécanismes de réparation
de l'ADN peuvent conduire à la restitution exacte de
l'information génétique. En revanche, quand
ces mécanismes font défaut ou simplement font
des erreurs, il se produit des mutations ponctuelles et des
délétions de taille variable de l'information
génétique ainsi que des réarrangements
de chromosomes (translocations). Ces modifications de
l'information génétique peuvent être
à la base des événements d'initiation
de la cancérogenèse et de sa
prédisposition génétique, notamment
dans les cancers cutanés et dans ceux du côlon.
L'équipe d'Alain Nicolas au laboratoire
Compartimentation et dynamique cellulaires (CNRS -Institut
Curie), à Paris, étudie les mécanismes
de la recombinaison entre chromosomes, avec la levure
Saccharomyces cerevisiae comme modèle. Des
résultats récents de ces chercheurs apportent
des informations nouvelles sur l'origine moléculaire
des cassures double brin spontanées de l'ADN lors de
la méiose (suite de deux divisions cellulaires
intervenant lors de la formation des gamètes). La
première étude (Baudat et Nicolas, 1997) a
consisté à cartographier et quantifier de
manière précise les sites de cassure
double-brin de l'ADN sur l'ensemble du chromosome III, le
premier chromosome à avoir été
séquencé, dès 1992, chez un eucaryote.
L'analyse systématique de ce chromosome a permis de
mettre en évidence deux faits particulièrement
intéressants : d'une part l'existence de très
nombreuses régions de cassures pour la plupart
localisées en amont des gènes et, d'autre
part, l'existence d'une distribution très
hétérogène de ces régions de
cassures le long du chromosome. Les extrémités
du chromosome ainsi qu'une grande région centrale de
ce chromosome ne subissent pas de cassures. Les autres
régions en subissent fréquemment. Si les
scientifiques ne peuvent encore expliquer les raisons
exactes de ces
hétérogénéités, ils ont
cependant pu déduire que le chromosome est
organisé en domaines, accessibles ou non à ces
dommages. Ainsi, au-delà des déterminants de
la séquence primaire de l'ADN, il reste maintenant
à comprendre le rôle joué par les
superstructures chromosomiques dans la distribution des
différentes lésions subies par l'ADN.
La seconde étude (Bergerat et al., 1997),
réalisée en collaboration avec l'équipe
de Patrick Forterre (CNRS-Université Paris-Sud,
Orsay) a conduit à la découverte de la
nucléase, enzyme responsable de la formation de ces
cassures double brin de l'ADN. Il s'agit de la
protéine codée par le gène Spo11,
identifiée grâce à sa similarité
de séquence avec une nouvelle famille de
topoisomérases découverte chez une
archaebactérie (1), Sulfobolus shibatae,
bactérie vivant dans les sources d'eau soufrée
à 85oC. Ces topoisomérases sont des enzymes "
magiciennes " qui modifient la configuration topologique des
molécules d'ADN, les nouent ou les enlacent. Pour ce
faire, ces enzymes possèdent une activité
nucléase qui clive les deux brins de l'ADN pour qu'un
autre segment d'ADN passe à travers la brèche
avant que les extrémités de la coupure ne se
rejoignent. Normalement, ce processus est rapide, si bien
qu'une proportion infime de l'ADN est clivée à
un instant donné. Il existe de nombreux agents
capables d'augmenter la durée de vie de
l'intermédiaire clivé, engendrant ainsi des
cassures permanentes dans l'ADN, très toxiques pour
la cellule. Ces agents, baptisés " poisons " de
topoisomérases, sont des produits antitumoraux et
antibiotiques puissants, puisqu'ils empêchent le
maintien de l'intégrité du matériel
génétique des cellules traitées qui
prolifèrent de manière
incontrôlée. En ce qui concerne la
protéine Spo11, si son activité
nucléase a pu être mise en évidence, il
reste encore à déterminer si elle
possède aussi une activité
topoisomérase.
Ces résultats montrent ainsi des ressemblances
fortes et " inattendues " entre la topoiso-mérase II
des archaebacteries, qui n'a pas d'équivalent chez
les eubactéries comme E. Coli, et la protéine
Spo11 impliquée dans le processus de la méiose
propre aux eucaryotes. Le processus de la méiose est
une étape-clé dans la formation de cellules
sexuelles viables et en même temps assure le brassage
de l'information génétique reçue des
parents. On ne connaît pas encore l'équivalent
de la protéine Spo11 chez l'homme, mais cette "
surprise " dans la filiation des organismes vivants au cours
de l'évolution est, pour ces chercheurs, un argument
supplémentaire en faveur du rapprochement
évolutif des archaebactéries et des
eucaryotes.
Ces résultats soulignent également les
avancées importantes que continue à engendrer
l'étude d'organismes modèles apparemment
très éloignés entre eux mais qui
recèlent des homologies moléculaires
significatives facilitant le progrès des
connaissances vers l'homme.
(1) Les archaebactéries, dont la découverte
ne date que d'il y a 20 ans, constituent la troisième
branche des organismes vivants, les deux autres étant
les eubactéries et les eucaryotes (organismes
contenant une cellule avec noyau). Les
archaebactéries vivent dans des milieux
extrêmes et, bien que ne possédant pas de
noyau, diffèrent des autres bactéries
(eubactéries) notamment par la composition chimique
de leur membrane et par la structure de leur ADN qui
comprend des introns (séquences non codantes).
Références :
- Baudat, F. et A. Nicolas (1997). Clustering of meiotic
double-strand breaks on yeast chromosome III. Proc. Natl.
Acad. Sci. (USA), 94, 5213-5218.
- Bergerat A., B. de Massy, Gadelle D., Varoutas P-C.,
Nicolas A. et P. Forterre. (1997) An atypical topoisomerase
II from archaea with eucaryal homologues involved in meiotic
recombination. Nature, 386, 414-417.
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