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Laboratoire de Biologie Moléculaire du Gène chez les Extrêmophiles

Cassures de l'ADN et surprise de l'évolution

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 09/97

L'ADN, support de l'information génétique des cellules vivantes, peut subir des lésions de plusieurs types. Parmi les principales, se trouvent les cassures de l'un ou des deux brins de la molécule d'ADN. Des résultats récents de l'équipe d'Alain Nicolas au laboratoire Compartimentation et dynamique cellulaires (CNRS-Institut Curie), à Paris, permettent de mieux comprendre l'origine des cassures double brin de l'ADN intervenant lors de la méiose. Dans une première étude, ces chercheurs ont analysé de façon systématique l'ensemble du chromosome III de la levure Saccharomyces cerevisiae, mettant ainsi en évidence l'existence de très nombreuses régions de cassures et une distribution très hétérogène de ces régions le long du chromosome. Ces résultats mettent en lumière, au-delà des déterminants de la séquence primaire de l'ADN, une organisation du chromosome en domaines, plus ou moins susceptibles de subir des lésions spontanées. Une seconde étude, en collaboration avec l'équipe de Patrick Forterre (Institut de génétique et microbiologie, CNRS-Université Paris-Sud, Orsay), a conduit à la découverte de l'enzyme responsable de la formation des cassures double brin de l'ADN. C'est une protéine codée par le gène Spo11 et identifiée grâce à sa similarité de séquence avec une nouvelle famille de topoisomérases découverte chez une archaebactérie. Cette ressemblance si forte entre une enzyme d'archaebactérie, qui ne possède pas d'équivalent chez des bactéries plus communes de type E. Coli, et la protéine Spo 11 impliquée dans un processus propre aux eucaryotes -la méiose-, plaide en faveur du rapprochement évolutif des archaebactéries et des eucaryotes.

A tout instant, l'ADN porteur de l'information génétique dans toutes les cellules d'un organisme subit des lésions dont la réparation est nécessaire pour le maintien de l'intégrité des chromosomes, la multiplication des cellules et leur survie. Les causes de ces dommages sont variées. Ils peuvent être d'origine spontanée (toutes les réactions biologiques ont un taux minimal d'erreur) ou être génétiquement programmés comme mécanisme permettant d'augmenter la diversité des protéines assurant la réponse immunitaire. Les dommages de l'ADN peuvent aussi être dûs à l'action directe ou indirecte de facteurs de l'environnement, par exemple lors de l'exposition à des agents physiques (radiations) ou chimiques, potentiellement mutagènes. Des dommages peuvent également être induits, par exemple en radiothérapie, pour tuer les cellules cancéreuses. Les lésions subies par la molécule d'ADN sont de plusieurs types moléculaires, mais en majorité il s'agit d'altérations des bases (molécules constitutives des acides nucléiques) et de cassures simple ou double brin du squelette de la double hélice de l'ADN.

Des travaux très fructueux réalisés au cours des dernières décennies ont mis en évidence l'existence dans tous les organismes vivants de mécanismes de réparation de l'ADN, mécanismes dont la multiplicité souligne l'importance pour la cellule de gérer avec soin l'intégrité de son matériel génétique. Ainsi, lorsqu'ils sont fidèles, les mécanismes de réparation de l'ADN peuvent conduire à la restitution exacte de l'information génétique. En revanche, quand ces mécanismes font défaut ou simplement font des erreurs, il se produit des mutations ponctuelles et des délétions de taille variable de l'information génétique ainsi que des réarrangements de chromosomes (translocations). Ces modifications de l'information génétique peuvent être à la base des événements d'initiation de la cancérogenèse et de sa prédisposition génétique, notamment dans les cancers cutanés et dans ceux du côlon.

L'équipe d'Alain Nicolas au laboratoire Compartimentation et dynamique cellulaires (CNRS -Institut Curie), à Paris, étudie les mécanismes de la recombinaison entre chromosomes, avec la levure Saccharomyces cerevisiae comme modèle. Des résultats récents de ces chercheurs apportent des informations nouvelles sur l'origine moléculaire des cassures double brin spontanées de l'ADN lors de la méiose (suite de deux divisions cellulaires intervenant lors de la formation des gamètes). La première étude (Baudat et Nicolas, 1997) a consisté à cartographier et quantifier de manière précise les sites de cassure double-brin de l'ADN sur l'ensemble du chromosome III, le premier chromosome à avoir été séquencé, dès 1992, chez un eucaryote. L'analyse systématique de ce chromosome a permis de mettre en évidence deux faits particulièrement intéressants : d'une part l'existence de très nombreuses régions de cassures pour la plupart localisées en amont des gènes et, d'autre part, l'existence d'une distribution très hétérogène de ces régions de cassures le long du chromosome. Les extrémités du chromosome ainsi qu'une grande région centrale de ce chromosome ne subissent pas de cassures. Les autres régions en subissent fréquemment. Si les scientifiques ne peuvent encore expliquer les raisons exactes de ces hétérogénéités, ils ont cependant pu déduire que le chromosome est organisé en domaines, accessibles ou non à ces dommages. Ainsi, au-delà des déterminants de la séquence primaire de l'ADN, il reste maintenant à comprendre le rôle joué par les superstructures chromosomiques dans la distribution des différentes lésions subies par l'ADN.

La seconde étude (Bergerat et al., 1997), réalisée en collaboration avec l'équipe de Patrick Forterre (CNRS-Université Paris-Sud, Orsay) a conduit à la découverte de la nucléase, enzyme responsable de la formation de ces cassures double brin de l'ADN. Il s'agit de la protéine codée par le gène Spo11, identifiée grâce à sa similarité de séquence avec une nouvelle famille de topoisomérases découverte chez une archaebactérie (1), Sulfobolus shibatae, bactérie vivant dans les sources d'eau soufrée à 85oC. Ces topoisomérases sont des enzymes " magiciennes " qui modifient la configuration topologique des molécules d'ADN, les nouent ou les enlacent. Pour ce faire, ces enzymes possèdent une activité nucléase qui clive les deux brins de l'ADN pour qu'un autre segment d'ADN passe à travers la brèche avant que les extrémités de la coupure ne se rejoignent. Normalement, ce processus est rapide, si bien qu'une proportion infime de l'ADN est clivée à un instant donné. Il existe de nombreux agents capables d'augmenter la durée de vie de l'intermédiaire clivé, engendrant ainsi des cassures permanentes dans l'ADN, très toxiques pour la cellule. Ces agents, baptisés " poisons " de topoisomérases, sont des produits antitumoraux et antibiotiques puissants, puisqu'ils empêchent le maintien de l'intégrité du matériel génétique des cellules traitées qui prolifèrent de manière incontrôlée. En ce qui concerne la protéine Spo11, si son activité nucléase a pu être mise en évidence, il reste encore à déterminer si elle possède aussi une activité topoisomérase.

Ces résultats montrent ainsi des ressemblances fortes et " inattendues " entre la topoiso-mérase II des archaebacteries, qui n'a pas d'équivalent chez les eubactéries comme E. Coli, et la protéine Spo11 impliquée dans le processus de la méiose propre aux eucaryotes. Le processus de la méiose est une étape-clé dans la formation de cellules sexuelles viables et en même temps assure le brassage de l'information génétique reçue des parents. On ne connaît pas encore l'équivalent de la protéine Spo11 chez l'homme, mais cette " surprise " dans la filiation des organismes vivants au cours de l'évolution est, pour ces chercheurs, un argument supplémentaire en faveur du rapprochement évolutif des archaebactéries et des eucaryotes.

Ces résultats soulignent également les avancées importantes que continue à engendrer l'étude d'organismes modèles apparemment très éloignés entre eux mais qui recèlent des homologies moléculaires significatives facilitant le progrès des connaissances vers l'homme.

(1) Les archaebactéries, dont la découverte ne date que d'il y a 20 ans, constituent la troisième branche des organismes vivants, les deux autres étant les eubactéries et les eucaryotes (organismes contenant une cellule avec noyau). Les archaebactéries vivent dans des milieux extrêmes et, bien que ne possédant pas de noyau, diffèrent des autres bactéries (eubactéries) notamment par la composition chimique de leur membrane et par la structure de leur ADN qui comprend des introns (séquences non codantes).

Références :

- Baudat, F. et A. Nicolas (1997). Clustering of meiotic double-strand breaks on yeast chromosome III. Proc. Natl. Acad. Sci. (USA), 94, 5213-5218.

- Bergerat A., B. de Massy, Gadelle D., Varoutas P-C., Nicolas A. et P. Forterre. (1997) An atypical topoisomerase II from archaea with eucaryal homologues involved in meiotic recombination. Nature, 386, 414-417.


Dernière révision le 05/01/98